L'incroyable histoire de Fred GOUIN.

Petit avant propos.

Pourquoi écrire l'histoire de Fred Gouin ?

  1. Pour rendre hommage à son talent qui fit rêver et chanter plusieurs générations avant nous et qui en fera rêver et chanter bien d'autres après nous. Aucun autre site ne lui est dédié.
  2. Pour rétablir la vérité. Nous voulons cesser de lire des choses fausses à son propos. Sur tel site il est né à Boulogne sur mer, à tel endroit on peut lire qu'il fut l'amant de Berthe Sylva etc etc ... Afin de couper court à toutes ces légendes (parfois grotesques), voici son histoire avec ses manques, telle que nous l'avons retrouvé dans les archives et témoignages de l'époque. 
  3. Pour continuer à le faire vivre et chanter ...

 

                                                                    Lionel Baudry et Samuel Marc

 

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Son enfance.

Bien que plusieurs sites et ouvrages sur la chanson française reprennent bêtement que Fred Gouin est né à Boulogne sur Seine, nous affirmons grâce à l'acte que nous détenons qu'il est né au Mans le 26 avril 1889 avec les prénoms de Hippolyte Eugène Frédéric GOUIN.

 

Sa mère Edna Marie Taupier est agée de 26 ans et est couturière. Elle est l'épouse de Hyppolite Ernest Gouin agé de 30 ans, vannier de métier. Le couple demeure au 17 rue St-Flaceau au Mans (ils se sont mariés le 17 octobre 1885). L'heureux couple donnera naissance à 5 enfants.

 

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De l'église au Môme Marjolaine.

C'est en chantant à la chorale paroissiale que naîtra sa vocation. La famille Gouin va déménager pour Paris (elle se fixe probablement à Auteuil). Nous ne connaissons pas la raison de ce déménagement mais sans doute le moteur était de trouver du travail. Dans une interview de "Mon Programme", le chanteur révèle que c'est au Faubourg du Temple qu'il a grandi.

A 11 ans, le jeune Frédéric achetait chez l'éditeur Pannetier, des fascicules qu'il revendait le soir au Point du jour (Viaduc d'Auteuil), tout en fredonnant la rengaine. Le Vieux voyou composé par le célèbre Gaston Maquis était son grand succès. Il payait les "petits formats" deux sous pièce. Quand il regagnait la maison maternelle, il avait 8 francs 50 en poche. Maman Gouin travaillait 2 jours pour se faire une telle somme.

"Comme les fils des bourgeois qui veulent se faire "artisse", moi aussi, j'ai eu des démélés avec ma famille. Quand la mère apprit que je chantais dans les rues, sa première réaction a été de me flanquer une raclée. Mais, quand elle a su ce que cela me rapportait, elle s'est adoucie" confiait Fred Gouin à la fin de sa vie.

C'est dans un Paris en plein essor, un Paris "merveilleux", plein de liberté que le petit Fred va débuter sa carrière. Un Paris poussiéreux de travaux, enfumé de locomotives et d'automobiles en tous genres.

Le petit Fred était vite devenu très populaire au Viaduc d'Auteuil. On l'avait surnommé le Môme Marjolaine. Sa première joie, ce fut d'acheter, à crédit, une mandoline chez Paul Beuscher, près de la Bastille.

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Naissance de l'Artiste.

Ses débuts.

 

 

En 1907, il a 18 ans et chante "Quand l'amour meurt" au Faubourg du Temple.

 

Deux ans plus tard, il part pour Nancy, il doit faire son service militaire et stoppa brièvement sa carrière.

Lors d'une fête du 69ème régiment d'infanterie, il chanta Le rêve passe devant le Président Poincaré et celui-ci vint lui serrer la main.

 

Le voici ci-contre, durant l'hiver 1913. Son succès est grand, sa voix de ténor au timbre clair, aux amples résonnances faisait impression sur la foule.

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Un certain Viallard.

Dans Paris, on parle fort de ce jeune chanteur qui "gaspille" ainsi sa voix, tant est si bien que cela vint aux oreilles du directeur de la maison Odéon.

 

Etonnamment, notre chanteur se fait nommé "Viallard ténor des Concerts de Paris" sur les étiquettes de disques. Est-il probable que la société Odéon ait changé son nom qu'elle ne trouvait pas assez "artiste" ? Après tout on s'en fout un peu mais le voilà en studio d'enregistrement et l'on imagine que c'est avec fierté qu'il chanta.

 

Malheureusement la guerre éclate et remet à plus tard tous les projets et le bel avenir de notre jeune Fred.

Note : Ce passage dans sa vie est relatée avec plus de détails dans la page "Viallard et Odéon".

 

 

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Au temps du charleston et du banjo (1918-1925).

Dès 1918, Fred Gouin reprend ses activités musicales.

Le 24 février 1920, c'est dans le 18ème arrondissement de Paris que Fred Gouin épouse Alice Marcelle Colette. Le couple semble heureux mais n'aura pas d'enfant, sans doute trop occupé à sa carrière et à joindre les "deux bouts" de fins de mois difficiles pour un jeune chanteur, qui semble toujours chanter dans la rue et vendre des petits formats.

Les années 20 règnent encore dans la tête de tout le monde comme une époque inssouciante ; l'entre-deux guerres. La fin d'une terrible guerre laisse place à cette joie de vivre.

 

Comme conté plus haut, Fred Gouin avait acquis une mandoline vers 1905 et c'est donc comme cela qu'il va continuer sa carrière, bien avant un certain Django Reinhardt.....

 

A cette époque se forme, grâce à l'arrivée du "Jazz Nègre", de nombreuses formations de musiciens jouant dans les bals. On est encore très loin de l'accordéon et du refrain chanté qui sévira plus tard après les années 30.

Le "Quatuor Parisien"
Le "Quatuor Parisien"

Cette période de notre chanteur en herbe est mal connue et présente encore pour nous de nombreuses zones d'ombres.

 

Fred Gouin forme un premier groupe qui se nommera le "Quatuor Parisien" (cliquez sur l'image pour l'agrandir - cette photographie malheureusement mauvaise fut retrouvée par Adrien Eche au dos d'une partition éditée par les "Editions musicales Saint-Gilles" installé au 66 passage Brady à Paris. Sans doute ce quatuor ne durera pas.

 

Fred Gouin rappelle dans une interview des années 50 que "Les éditeurs comptaient avec nous.... on n'arrêtait pas de travailler.... moi je préférais la rue". On conclut que tous ces musiciens de rues étaient le maillon indispensable de la chaine entre les éditeurs et les grandes vedettes de la scène et du disque avant que l'arrivée de la T.S.F. ne bouscule toutes ces "habitudes". Un succès naissait d'abord dans la rue.

 

Il forme ensuite un duo avec Ded (ou Dédé) et les duettistes se retrouvent pour enregistrer chez Perfectaphone. Un de leur succès fut "As-tu vu", dont Fred Gouin enregistra la chanson presque à la même période mais pour Odéon.

 

Ils accompagneront également des interprètes célèbres dont Emma Liébel (vous pouvez vous rendre à la page "Ded et Fred à la loupe").

 

Etrangement ce disque est daté de "Mai 1927" dans l'ouvrage de Martin Pénet "Mémoire de la Chanson" alors qu'il nous semblait dater plutôt de 1925 ou 1926. Car notre baryton  enregistre depuis le 23 décembre 1926 pour Odéon. Il n'a probablement pas encore signé de contrat d'exclusivité et n'en n'est qu'à des essais. 

 

Cependant on peut constater que ce disque Perfectaphone s'intercalle parfaitement entre les séances Odéon de mars et juin 1927 (les disques Odéon de cette époque sont à saphir) (reportez-vous à la page discographie).

 

 

Le duo ne dure pas, mais Fred Gouin qui semble être le plus doué ou le plus débrouillard des deux, est engagé par l'accordéoniste Maurice Alexander alors à ses débuts. Plusieurs faces sont gravées mais cette fois-ci sous le label HENRY.

 

Cette marque obscure dont on dit souvent qu'elle fut une sous-marque de Pathé, utilisait des matrices venant de Idéal et de Pathé.

 

A cette époque ils jouent durant les bals "Au Petit Balcon" lieu de rencontre de célèbres musiciens.

Cette salle de bal coincée entre la rue de Lappe et le passage Thiéré, un quartier qui ne connaît pas toujours de bonnes fréquentations... on imagine tout à fait le style des danseurs et l'ambiance qu'il pouvait y régner !

 

Fred Gouin continue son ascension vers le succès. Il semble alors chanter des chansons sur scène, peut-être d'abord le refrain, puis la chanson entière puisque l'on retrouve sur certaines partitions "chanson créée par Fred Gouin au Bal du petit Balcon" (voir ci-dessous la partition reproduite). 

Il est enfin reconnue comme interprète. Notre jeune baryton continua sa route comme chanteur tandis que Alexander trouva un autre banjoiste nommé Latorre, suivit d'un contrat chez Columbia.

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Un de ses premiers succès est alors Nana. Un "tube" signé par Didier Gold et le célèbre violoniste compositeur Mario Cazès.

 

Avec ce dernier nait une amitié certaine avec le chanteur. D'ailleurs Fred Gouin est un peu responsable de la réussite de Cazès puisqu'il enregistre tour à tour : Toi, C'est ce soir ou jamais, Rien qu'une nuit, Si tu voulais m'aimer d'amour, Napoletana, etc. A cette époque le violoniste enregistre chez Perfectaphone et passe à la radio. Est-ce par ce biais que Fred Gouin arrive devant le micro du Poste Parisien avec Malloire et La Houppa ? L'histoire le dira peut-être par la suite.....

 

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Du Baryton populaire au Remarquable Chanteur de Genre.

La Naissance d'une Grande Vedette Odéon.

Grâce aux éléments développés ci-dessus, on peut donc déduire que l'année phare pour Fred Gouin aura été l'année 1926.

 

Revenons quelque peu sur l'accordéoniste Dédé : N'a t'on jamais imaginé que les premières séances faitent chez Odéon avec un accordéoniste dont le nom n'est pas mentionné était peut-être ce fameux Dédé ? L'histoire là aussi ne le dira sans doute jamais.

(Note : fin 2013, nous venons de découvrir qui se cachait sous le nom de Ded ou Dédé, dont nous vous préparons un article).

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Il y a plusieurs périodes dans la vie "odéonesque" de Fred Gouin. Il y a d'abord le chanteur qui se cherche un répertoire et qui use sa voix dans tous les styles ; celui qui semble s'ennuyer ; et enfin celui qui se taille un répertoire de succès tant avec des anciennes mélodies que des nouvelles.

 

Il faut tout de même préciser que en principe, lorsque l'on signait un contrat avec une maison de disques vous pouviez enregistrer vos succès mais certains titres vous étaient également imposés.

 

De 1927 à 1930, l'ascension phonographique de Fred Gouin est impressionnante ; environ 53 faces sont gravées en 1927 ; 39 pour 1928 ; 79 pour 1929 ; 85 pour 1930.

 

On constate que les plus grands succès que réalisa Fred Gouin furent gravés dans cette première période. 

Capable de s'adapter à n'importe quel style, il grave alors une quantité de chansons. Tout y passe : les chansonnettes comiques, l'opérette, leit-motivs de films (en version française) et les romances et mélodies, dont il se fait une spécialité qui lui colle "à la peau".

 

A partir de 1931, les rendez-vous dans les studios de la rue Albert se font de plus en plus rares ; seulement 38 faces pour 1931 (les retombées de la crise de 1929 ne sont peut-être pas étrangères à se ralentissement de l'activité). Faut-il voir une période où étant devenue une personnalité importante de la chanson, il est demandé un peu partout sur les scènes de France mais aussi à la radio où la diffusion de ses disques est en constante augmentation.  

 

 

Alors que certaines des premières faces de 78 tours, les étiquettes mentionnaient "Fred Gouin le baryton populaire", vers 1931, son nom sera suivis de l'épithète "Fred Gouin, le remarquable chanteur de genre". Ce qui évoque naturellement un grand changement dans son ascension.

 

Il aura même un catalogue Odéon pour lui tout seul qui reprendra la totalité de ses disques !

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D'ailleurs c'est en 1931, que Fred Gouin, qui est à l'apogé de sa carrière, va tourner un seul film à notre connaissance : Camelot de Paris de Pellegrin avec Curnonsky et Yvonne Guillet (autre vedette Odéon). On imagine que le scénario n'est pas très intéressant et que probablement il y joue son propre rôle : un chanteur de rue.

A notre grand désespoir, ce film reste invisible comme la plupart des court-métrages réalisés à cette époque.

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N° du 11 janvier 1931 - Collection des Auteurs
N° du 11 janvier 1931 - Collection des Auteurs

Fred Gouin devient en effet une vedette indispensable à la réussite d'une bonne émission de radio. D'ailleurs il y passe régulièrement depuis ses débuts. C'est ainsi qu'il rencontra le compositeur et accordéoniste Léon Raiter, devenu un ami, qui lui écrira de nombreuses chansons dont Fred Gouin est le créateur.

D'ailleurs, rappelons qu'il fut un des premiers à chanter les Roses Blanches bien avant Berthe Sylva. En juin 1930, il enregistra aussi en compagnie de Raiter et Huard des chansons qui connurent un beau succès comme Viens, Frère Jacques, Soir de Florence,  etc.

 

 

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La Fin du Succès.

Collection des Auteurs
Collection des Auteurs

A partir de 1932, il va de moins en moins enregistrer ; 25 titres en 1932 ; 26 en 1933 ; 27 en 1934 et seulement 6 en 1935.

La gloire du Chanteur n'aura finalement pas duré très longtemps puisque son contrat est rompu après une dernière séance fin avril 1935.

Etonnament, alors que ses derniers enregistrements de mélodies et de romances sont excellents d'un point de vue technique et professionnel, cette deuxième période est moins retenue des amateurs. Odéon et Fred Gouin sont à la pointe du progrès. Bien que notre interprète de genre raconte dans ses interviews des déboires avec sa santé, il est vraiment à cette période, au mieux de sa voix. Il module davantage ses effets, le style semble plus raffiné et sa voix s'est affirmée. Fred Gouin a toujours évoqué le fait qu'il travaillait énormément les paroles de ses interprétations afin restituer à l'auditeur la moindre nuance du texte.

On doit noter de très belles faces réalisées sous la baguette de Albert Valsien comme L'amour s'envole, D'une gondole, Lettre tendre, Aubade à Margarita, La chanson des peupliers, Le pays des roses etc...

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Le dernier disque.

"Marinella".

Mars 1936, après avoir quitté la maison Odéon avec qui Fred Gouin était lié et dont il reste assez obscur sur les raisons de cette séparation, on le retrouve étonnament chez CRISTAL.

Pour Cristal, il enregistre deux titres assez surprenant : Marinella et J'aime les femmes c'est ma folie, titres empruntés au répertoire du jeune Tino Rossi.

Objectivement, Fred Gouin fait sans doute une erreur en enregistrant ces deux titres. Si sa version de Marinella est passable vocalement l'autre face est ratée. On voit que Fred Gouin n'est pas à l'aise dans ces deux chansons. Il n'est plus que l'ombre de lui-même. Peut-être se rend-t-il compte qu'il n'a plus sa place et décide de se retirer ?

Le temps n'est plus à l'heure de la romance et de la mélodie "à voix", le timbre de notre baryton ne fait plus le poids face à la jeune génération des chanteurs dit "de charme", à la voix de velour, qu'il repproche comme être "trop sucrée" ... Evidemment l'époque est prolifique pour ces chanteurs "sans voix". On peut citer les noms de Tino Rossi, Jean Lumière, Guy Berry, Jean Clément, Jean Sorbier, etc... Et puis l'arrivée des Trénet et Johnny Hess va encore bouleverser tout cela !

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On peut imaginer que le contrat chez Odéon s'est rompu simplement parce que le chanteur en avait "marre" d'être attaché à une seule marque. Rappelons que les contrats d'exclusivité étaient extrêmement contraignant, et que de nombreux chanteurs enregistraient pour d'autres marques sous des noms d'emprunts pour pouvoir gagner leur vie et ne pas risquer un procès. Il faut rappeler que Fred Gouin était payé une "misère" compte-tenu qu'il rapportait sans doute plusieurs millions de bénéfices à Odéon.

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Le Front Populaire et une maison au bord de l'eau.

"La guinguette à Jouy-le-Moutier".

"A chanter au coin des rues, on se forme la voix, dit-il en plaisantant. Mais les tournées en province, à l'étranger, rien de tel pour démolir un chanteur. L'air de la rue, c'est sain ; les théâtres, c'est plein de poussière, de vents coulis. ça a commencé par un simple rhume, suivi d'un rhume plus grave ; dfe bronchite en bronchite, je me suis retrouvé, finalement, avec de l'asthme. Alors je me suis dit : "Fred, il faut finir en beauté ; avant que ta voix qui caressait si bien les femmes soit devenue une horrible voix de "mêlé-cass". Avec mes économies, j'ai acheté une propriété à Jouy-le-Moutier, en Seine-et-Oise. J'ai monté une guinguette, "Les Fins Pêcheurs", où on pouvait danser, boire un bon petit vin blanc et manger de la friture. C'était en 1936. Tout allait bien" raconte Fred Gouin dans Détective.

La carte postale ci-dessus, bien que antérieure à l'aménagement de Fred Gouin illustre tout à fait ce que pouvait être "Les Fin Pêcheurs". Hormis le passage des péniches, on imagine très bien que l'endroit était calme, cela devait changer la vie de notre chanteur parisien d'adoption !

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"La guinguette a fermé ses volets".

"Tout allait bien. Mais il fallu qu'un beau jour, Hitler vienne tout fiche par terre ! La guerre de 1914-1918 m'avait coûté 4 ans de ma jeunesse. La seconde guerre mondiale allait me ruiner" déclare Fred Gouin.

Avec l'arrivée du Front Populaire et les premiers grondements d'une guerre qui s'annonce inévitable, les beaux projets de Fred Gouin s'écroulent et ses économies fondent à vues d'oeil. Il doit alors se résigner à vendre sa belle propriété. Tous ses rêves s'écroulent.

 

Aujourd'hui la propriété existe toujours bien que un peu transformée. On peut imaginer les tables et chaises disposées au bord de l'eau et le chanteur qui entonnait la chansonnette d'amour.

 

 

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L'arrivée de la guerre, déclarée en 1939 va obliger Fred Gouin a conserver cette villa jusque dans les années 50. Tout se qui découlera de la guerre l'aura ruiné. L'heure n'est plus à la guinguette mais à la reconstruction.

 

Fred Gouin raconte cette salle période : "La seconde guerre mondiale allait me ruiner. Ma femme - c'est la même depuis 32 ans, je n'en n'ai pas changé, car elle fait mon affaire ! - ma femme, dis-je et moi-même, nous dûmes faire l'exode. Quand nous sommes revenus aux Fins Pêcheurs, il y avait de drôles de pensionnaires qui, durant notre absence, s'étaient installés dans notre établissement. Sans notre permission, mais impossible de les flanquer à la porte. Quant à notre bonne clientèle, elle avait déserté le coin, de peur de voisiner avec ces ... doryphores !".

 

Il poursuit : "En 1944, nouveau coup dur : ces messieurs prétendent m'envoyer travailler en Allemagne pour leur compte. Vous imaginez ça ? Moi, un bon français de 56 ans ! J'ai préféré prendre le maquis. Naturellement ça n'a rien arrangé à mes affaires. A la Libération, il fallait tout reprendre à zéro. Mais je n'avais pas de capitaux.

Alors j'ai tout bazardé".

Il faut vous repporter à la page "Témoignages" de Yves Pennec, qui rencontrera le chanteur juste avant qu'il ne quitte Jouy-le-Moutier.

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Départ d'une nouvelle vie dans la Venise verte : Coulon

Coulon est un magnifique petit village situé dans les Deux-Sèvres. On appelle cet endroit le Marais Poitevin mais également "Venise verte". L'endroit parait être idylique pour recommencer une nouvelle vie.

 

Séparé par la "Venise verte", Coulon pourrait bien ressembler aux bords de l'Oise. Les habitants empruntent des barques pour se rendre dans leurs habitations ; ici tout passe par les voies d'eau : on y voit aussi des vaches et des chevaux ! Ce qui donne lieu à des tableaux charmants et plutôt inhabituels !

On ignore comment Fred Gouin s'est fixé dans ce village. Il reprend : "Alors, j'ai tout bazardé. Ma femme et moi, nous sommes venus nous installer dans le marais poitevin, à Coulon.

Notre maison est petite et modeste, mais avec ses murs blanchis à la chaux et ses volets rouges, elle me plaît, et Andrée la soigne avec amour de vraie ménagère...." nous conte Fred Gouin.

 

Ci-contre, la maison de Coulon où vivra Fred Gouin et son épouse.

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"J'ai débuté dans la rue ; je finis ma vie dans la rue.

J'ai vendu des chansons ; je vends des frites avec le même plaisir".

Le marchand ambulant.

1955 - Un couplet et une portion de frites.

"C'est le jour du marché, à Niort. Les ménagères circulent parmi les éventaires.

Un parfum, entraîné par une saute de vent, passe sur la foule :

- ça sent les frites, dit une femme, en levant un petit nez froncé comme pour capter l'odeur au passage. ça sent si bon qu'on a envie d'en manger !

- Ne vous gênez pas la belle ! riposte une maraîchère qui plume une volaille. La friterie s'est installée au coin de la rue des halles.

 

Cette friterie, qui est à la fois cuisine et magasin, est représentée par une fourgonnette dans laquelle une femme aux cheveux gris s'affaire autour des bassines d'huile bouillante. Près d'elle, un homme d'une soixantaine d'années, vêtu d'une blouse grise, s'époumone à crier : - A la bonne frite !... Venez, mesdames !... A la bonne frite !

 

Un calicot, accroché au flanc de la voiture, vante les qualités de la marchandise. Mais, au texte publicitaire, on a ajouté un dessin représentant un cuisinier jouant de la guitare.

 

Ce label n'est pas seulement une marque de fabrique : il symbolise le destin de cet homme qui, l'écumoire à la main, pêche dans le liquide qui fume les pommes de terre rissolées pour les mettre dans des cornets de papier...

Le friteur de Niort se nomme Fred GOUIN.

 

Fred GOUIN .... Ce nom n'évoque rien pour la jeune génération qui préfère se pâmer aux chansons de Gilbert Bécaud.

 

Pourtant, cet homme a eu son heure de célébrité. Des centaines de milliers de spectateurs l'ont applaudi, voilà trente ans, lorsqu'il interprétait avec une rare sensibilité Les blés d'or, Madame la lune, Chanson pour Marinette...

Sa voix qui captivait la foule a voyagé à travers le monde sur les ailes de la radio ; elle a été inscrite dans les studios d'enregistrements sur des milliers de plaques de cire et d'ébonite" (extrait du reportage de Détective).

On peut lire sur le camion près de la friteuse ; "Les spécialités de Fred - Ses chips - Ses pommes frites - Son casse-croute parisien".

 

On imagine très bien que le couplet des années 30 lancé "à la volée" entre deux tournées de frites faisait parti du paysage au bon plaisir des clients.

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Fred Gouin résuscite dans un microsillon.

1955 sonne la fin de la fabrication des disques 78 tours. Le microsillon fabriqué en parallèle depuis 1950 emporte désormais le marché.

 

Plusieurs disques vinyles des anciens succès de Fred Gouin verront le jour : d'abord un 33 tours 25 cm et deux 45 tours.

On s'étonne d'ailleurs des pochettes qui furent réalisées à cette occasion : plutôt que d'avoir imprimé une photo de l'époque de son succès, elle laisse place à un vieil homme à lunette ! Ce qui est loin d'être commercial !

Jean Roman, le journaliste de Détective relate bien ce fait malgré le style exagérément "dramatique" :

"Mais pour Fred Gouin, Le temps des cerises est revenu, Les blés d'or ondulent de nouveau au rythme des orchestres. Une maison d'édition phonographique française vient de moissonner tous les grands succès du chanteur, et d'en faire un microsillon. Sa voix va ressusciter, grâce au progrès ; ses anciens succès vont réveiller d'émouvants souvenirs chez ceux qui ont plus de 40 ans, et faire connaître à la jeunesse, qui, déjà, commence à se lasser des rythmes américains et des chansons stupides, des oeuvres désuètes, mais qui ne manquaient ni de charme, ni d'esprit, ni de poésie : des chansons bien de chez nous, comme dirait M. Jean Nohain."

"- J'ai reçu votre disque, dit un jour M. Favreau, disquaire à Niort, en rencontrant le friteur. Venez donc l'écouter chez moi avec Madame Gouin.

Fred et sa compagne, ce soir-là, ont mis leurs habits de fête. L'interprète de la Chanson à Marinette s'est étonné que tout son répertoire puisse tenir sur une si petite surface :

- Quand je pense qu'on a vendu 1.600.000 disques de moi !

Gravement il a écouté ce récital qui lui rappelait son passé plein de gloire. Sa femme avait les larmes aux yeux.

- La reproduction est vraiment très bonne, a-t-il dit, tout simplement.

Puis les deux époux ont regagné leur petite maison de Coulon :

- N'oublie pas de mettre le bidon d'huile près du feu, a recommandé Fred à sa femme. Demain, c'est le marché de Partenay... A la bonne frite !... Allons ! ma bonne amie, épluchons les pommes de terre... Nous avons notre réputation à soutenir...

Et d'ajouter :

- Etre content de son sort, il y en a qui disent que c'est de la philosophie. Pour moi, c'est le secret du bonheur. Et ça, c'est mieux !".

 

 

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Mort d'un indigeant.

Ce qui semble incroyable aujourd'hui et ressemble presque à une chanson réaliste "à la Berthe Sylva", c'est que Fred Gouin décède dans l'anonyma le plus complet. Alors que pourtant, nombreuses sont les personnes qui connaissent l'homme et son passé de vedette. Personne de Niort ni même de Paris où d'ailleurs ne vient faire quelque chose pour la pauvre dépouille de Fred Gouin.

 

Son corps est jetté dans la fosse commune. Réputé solitaire et "peu social", il ne semblait pas avoir de descendant ni d'ami.

 

Ce n'est que plus de 20 ans plus tard que la ville de Niort, peut-être un peu honteuse d'avoir laissé ce pauvre Fred Gouin mourir dans l'indigeance, décide de faire quelque chose en sa mémoire.

Il faut ici évoquer le souvenir d'un de ces défenseurs nommé André Brillaud. Celui-ci avait connu Fred Gouin et possédait même sa guitare. C'est lui le premier qui décide que Fred Gouin ne soit pas oublié et il organise plusieurs manifestations (expositions).

Une commémoration fut rendue au chanteur fin août 1988, une stèle fut dévoilée au cimetière de Niort en sa mémoire. Puis un goûter-dansant fut proposé aux invités. Les "Troubadours Niortais" chantèrent les succès de Fred Gouin "redonnant vie à tout un répertoire où déjà Amour rimait avec Toujours".

 

 

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Que reste-t'il de Fred Gouin aujourd'hui ?

On peut voir à Niort au cimetière de Buhor  l'obélisque qui fut erigé en sa mémoire. Une plaque ornée d'une photo est posée devant le monument. On peut donc faire un pélerinage en sa mémoire si vous passez par là....

Concernant les disques, aucune maison n'aura pris le risque d'éditer un coffret sur notre populaire baryton. Fred Gouin a toujours été boudé.

 

Marianne Mélodie et quelques autres n'ont fait que des rééditions partielles et elles ont le mérite de l'avoir fait. 

 

Devant le collossal travail de réunir les faces et de les restaurer, seuls des passionnés ne comptant ni leur temps ni leur argent pouvaient réaliser cela. Et seul un site pouvait se permettre de mettre en ligne les chansons dont nous sommes heureux de vous faire découvrir ou redécouvrir.

 

Lionel Baudry et Samuel Marc sont très heureux de vous offrir ce cadeau et de partager avec vous le grand privilège d'entendre toujours la voix de Fred Gouin, notre remarquable chanteur de genre !